Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors ; elle mettait à la mode la fiction de l’amour platonique, qui accommodait agréablement les plaisirs de la coquetterie avec les avantages de la vertu. Les étrangères qui, vers cette époque, vinrent beaucoup chez elle, la comtesse Delphine Potocka, la baronne de Meyendorff, madame Apponyi elle-même qui, malgré sa relation officielle avec la cour, affichait sa préférence pour nous et restait de notre bord, contribuaient par une manière d’être très-différente de celle qu’on nous avait apprise, par des curiosités plus vives, plus de talents, plus de lecture, plus de laisser aller, à modifier, le ton et l’allure de nos salons. Quand le pur faubourg Saint-Germain vit chez madame de Rauzan, chez madame de la Bourdonnaye, chez madame de La Grange, chez moi, toute cette invasion de bel esprit et de romantisme, quand on sut que nous assistions, d’un air d’autorité littéraire, aux premières réprésentations de Henri III, d’Antony, de Chatterton, — 1835 ; — quand on vit sur notre table Indiana, Lélia, les Poésies de Joseph Delorme[1], Obermann[2], ce fut matière de persiflage. On nous déclara bas bleus. On nous appela : madame de la Bourdonnaye, la Sappho de la rue Boudrot, moi, la Corinne du quai Malaquais, etc., mais cela ne

  1. Les Poésies de Joseph Delorme avaient paru en 1829.
  2. La première édition d’Obermann, par Sénancour, avait paru en 1804. Une seconde édition paraissait en 1833, avec une préface de Sainte-Beuve. Indiana et Valentine avaient paru coup sur coup dans l’année 1832 ; Lélia fut publié en 1833.