Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/366

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sidérable, le plus influent, le plus illustre : un Chateaubriand, un Pasquier, un Mole, un Guizot. Pour celui-là, pour l’attirer, en faire montre et s’en faire honneur, il fallait renoncer à être soi-même, se vouer tout entière au culte du grand homme ; y vouer les autres, quoi qu’ils en eussent ; veiller incessamment, inquiète, attentive, à renouer tous les fils qui, de toutes ces vanités divergentes, devaient revenir au même point et former autour d’une vanité exaltée le nœud d’admiration qui la retenait captive. N’avoir pas pour centre d’attraction, pour pivot de son salon un homme influent, c’était une difficulté, une infériorité véritable. Il fallait alors le prendre de moins haut, caresser. flatter en détail beaucoup plus de gens, perdre beaucoup plus de temps, se donner beucoup plus de peine. Dans l’un ou l’autre cas, il fallait une application soutenue de la volonté, une étude, une tension d’esprit avec une souplesse dont je n’aurais jamais été capable, du moins en de telles visées. Mon esprit et mon caractère, mes ambitions, si j’en ai eu, étaient autres. Je ne voudrais pas nier cependant que par certains dons assez rares, je ne dusse paraître très-propre à cet empire du salon, que l’on voulait bien me décerner, et que mes contemporaines m’ont envié par-dessus toutes choses. Avec une femme illustre[1], j’ai pu m’aperce-

  1. Madame Roland.