Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/377

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précié son pauvre Ballanche[1] ; ç’avait été entre elle et moi un premier lien. « Les tendances de M. Ballanche étaient en accord avec vos idées, » reprit-elle d’une voix insinuante et hésitante. Je répondais de mon mieux ; elle se disait charmée. Quand je la quittai, elle insista de la manière la plus aimable pour fixer tout de suite l’heure d’une prochaine séance de lecture. Je vins le surlendemain, et cette fois je vins seule. Son valet de chambre m’attendait au bas de l’escalier. Les lettres de madame de Staël, dont je devais prendre connaissance, étaient disposées, par ordre de dates, sur un guéridon ; deux fauteuils auprès. Elle me fit asseoir sur l’un ; je l’aidai à s’asseoir sur l’autre.

Elle semblait plus à l’aise, et comme soulagée de n’avoir pas là un tiers pour l’observer. Elle se plaignit de sa vue très-affaiblie, et caressant de sa petite main effilée mon manchon d’hermine, dont la blancheur attirait sans doute son regard : « J’ai mis mes lunettes pour tâcher de vous voir un peu, me dit-elle ; j’entrevois une ravissante apparition, une figure pleine d’élégance… Voudriez-vous lire haut ? ajouta-t-elle avec un accent affectueux, que j’aie du moins, ne pouvant vous voir à mon gré, le plaisir de vous entendre. » Impossible de mieux dire. Je commençai cette lecture qui ne dura pas moins d’une heure, fréquemment interrom-

  1. Chateaubriand disait, lui aussi, « mon pauvre Ballanche », (Alfred de Vigny, Journal d’un poëte).