Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/53

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banné, avec sa brioche parochiale ; mais ces excitations à la vanité venaient rarement ; d’ailleurs la vanité n’avait en moi que de faibles germes, et ces germes ne se développèrent point dans la maison maternelle où régnait, malgré la condition de mes parents, une simplicité de mœurs parfaite. — Quand arrivaient les mauvais temps et qu’il n’y avait pas moyen de sortir, je me sentais bien privée, bien seule à la maison, ma mère n’y admettant pas volontiers mes bêtes, et n’y tolérant qu’à demi mes chers petits rustres. Ceux-ci, de leur côté, se sentaient gênés dans nos salons, sur les parquets glissants, sur les fauteuils aux blanches housses de basin où se marquait l’empreinte de leurs mains terreuses. Heureusement, dans ma solitude, il me vint une inspiration : j’eus l’idée d’embellir ma prison — un salon, pour un enfant, c’est une prison — par la représentation des champs, des prés, des bois, des jardins, d’où je me voyais bannie ; par la création de campagnes imaginaires, que je disposerais selon mon plaisir. Ce fut un trait de génie. Sur une table en bois de sapin, qui ne servant à rien d’autre, j’étendis une couche de terre argileuse, rapportée à cette intention de ma chère allée souterraine. Avec un couteau de bois, je traçai sur toute la surface ainsi enduite le plan improvisé de mes plantations ; de frêles tiges d’arbustes, houx, genévriers, épines, figurèrent dans mes compositions les forêts ; des épaisseurs de