Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/97

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plaire à mon père et d’obtenir de lui — c’était la récompense suprême — de le suivre à la chasse ou à la pêche, me donnait au travail une vive ardeur, exempte de ces surexcitations de l’amour-propre qui, dans les rivalités des pensions et des lycées, mêlent si tristement la jalousie à l’ambition d’exceller.

Mais, avant de passer outre, il faut que je dise ce qu’étaient ces chasses et ces pêches où je prenais un plaisir si grand.

Les chasses de mon père étaient de deux sortes : la chasse aux chiens courants ou aux chiens bassets, les traques au renard et à la bécasse en nombreuse compagnie ; la chasse au chien d’arrêt, où mon père allait le plus souvent seul, ou bien, quand il le pouvait tirer du lit assez matin, avec son flegmatique ami la Trémoïlle. Les chiens courants, bien que la meute fût de belle race et bien soignée — mon père faisait venir ses chiens du Poitou et avait pour premier garde un vieux soldat de l’empire du nom de Chessous — ne me plaisaient pas ; je les trouvais trop semblables entre eux, trop voraces. La compagnie bruyante et mal accommodée des chasseurs campagnards en casquette de loutre, guêtres de peau, gros souliers ferrés, portant la carnassière à mailles en ficelle, qui venaient chez nous déjeuner de soupe à l’oignon, ne me plaisait pas davantage. J’avais bien un certain plaisir d’orgueil à voir mon père, dans sa belle veste en drap