Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/164

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n’étaient plus à inventer ; elles étaient fournies par l’image du Messie, vivante dans l’espérance du peuple, où elles avaient été, pour la plupart, après de nombreux remaniements[1], transportées de l’Ancien Testament ; il n’y avait qu’à les appliquer à Jésus[2], et à les modifier d’après son caractère personnel et sa doctrine ; et jamais peut-être application ne fut plus facile, puisque celui qui, le premier, transporta quelque trait pris à l’Ancien Testament dans l’annonciation de Jésus, crut sans doute lui-même à la réalité de son récit, et il le crut d’après l’argument suivant : Telle et telle chose appartiennent au Messie ; or, Jésus a été le Messie ; donc ces choses sont arrivées à Jésus[3].

À la vérité, on peut dire que le second terme de cet argument, c’est-à-dire que Jésus a été le Messie, aurait d’autant moins convaincu ses contemporains que l’attente

    chielem. Marc exsiccabit, prout per Mosen factum est. Oculos cæcorum aperiet, id quod per Elisam fecit. Deus S. B. futuro tempore visitabit steriles, quemadmodum in Abrahamo et Sara fecit.

    Ce passage, en disant des hommes de Dieu de l’Ancien Testament que les miracles des temps messianiques se trouvent déjà dans leur temps, ne fait que remonter à la source d’où ces traits de l’image du Messie étaient provenus en grande partie dans l’origine. L’attente de la résurrection générale des morts avait des lors sa source particulière. C’est probablement un passage d’Isaïe (35, 5 ; 42, 7) qui a fait dire que les yeux des aveugles s’ouvriront. Il n’en est pas de même de ce passage, pris ici au propre, du dessèchement de la mer, de la fécondation des femmes stériles, merveilles attendues pour l’époque du Messie ; on ne peut y voir qu’une imitation des mythes de l’Ancien Testament.

  1. La légende de l’Ancien Testament a subi, même sans relation avec le Messie, des remaniements et des développements dans les temps postérieurs : aussi la dissemblance partielle des récits relatifs à Jésus avec les récits relatifs à Moïse et aux prophètes ne permet pas de conclure que les premiers ne sont pas sortis des seconds. On en a la preuve en comparant des passages comme ceux des Actes des apôtres, 7, 22, 53, et les paragraphes correspondants dans Josèphe, Antiq., 2 et 3, avec le récit de l’Exode sur Moïse. Comparez encore avec le récit biblique sur Abraham, Josèphe, Antiq., 1, 8, 2 ; sur Jacob, 1, 19, 6 ; sur Joseph, 2, 5, 4.
  2. George, S. 125 : « Que l’on se représente la ferme persuasion dont les disciples étaient pénétrés, que tout ce qui avait été prophétisé du Messie dans l’Ancien Testament devait nécessairement être accompli dans la personne de leur maître ; qu’on se représente en outre que déjà bien des portions de la vie de Jésus étaient devenues des pages blanches, et l’on comprendra qu’une seule chose était possible, c’est que ces idées prissent un corps et qu’il en naquit les mythes que nous avons sous les yeux. Quand bien même la tradition aurait pu conserver un récit plus fidèle de la vie de Jésus, la conviction des disciples sur le caractère messianique et l’accomplissement des prophéties eussent eu assez de force pour triompher de la réalité historique. »
  3. Comparez, sur un argument semblable de certains poëtes grecs, O. Müller, Prolégomènes, p. 87.