Page:Strauss David - Vie de Jésus, tome 1, Ladrange 1856.djvu/426

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niers temps, on a considéré ce récit comme le récit primitif, que l’auteur de notre premier évangile aurait raccourci, en même temps que, pour augmenter l’effet de la scène, il mettait, dès le premier abord, un refus dans la bouche de Jean-Baptiste et les paroles citées plus haut[1]. Mais, dans l’évangile des Hébreux, le récit n’est pas sous sa forme originelle ; on le voit à la répétition traînante de la voix céleste et à tout ce qu’il y a de délayé dans la narration ; loin de là, c’est un récit très éloigné de sa source, et le refus de Jean n’a pas été placé après l’apparition et la voix céleste, afin que fût évitée la contradiction avec le quatrième évangile, lequel n’a pas dû être reconnu dans le cercle de ces chrétiens ébionites ; mais il a été mis en cet endroit justement dans une intention qu’à tort on attribue à Matthieu, quand on prétend qu’il a changé l’ordre des circonstances de la scène, à savoir, dans l’intention de produire plus d’effet. Un simple refus de la part de Jean-Baptiste parut trop peu de chose ; il fallait au moins qu’il y eût une génuflexion devant le Messie, παραπεσών ; or, cette génuflexion ne pouvait pas être mieux motivée que par le signe céleste, qui, en conséquence, fut placé d’abord. Ce n’est donc pas de cette façon que l’on comprendra comment Matthieu est venu à être en contradiction avec Jean ; et le récit dérivé que renferme l’évangile des Hébreux ne va pas non plus assez loin pour concorder avec ce que Luc a raconté des relations de famille entre Jean et Jésus.

Tout s’explique sans contrainte, si l’on songe seulement que la relation importante entre Jean et Jésus a dû paraître comme ayant existé de tout temps, en vertu de cette propriété que l’imagination populaire a de se représenter les choses essentielles comme jouissant d’une préexistence in-

  1. Bleek, l. c. ; Schneckenburger, Über den Ursprung des ersten kanonischen Evangeliums, S. 121 ; Lücke, Comm. z. Ev. Joh., 1, S. 361. Comparez Usteri, Sur Jean-Baptiste, etc., Studien, 2, 3, S. 446.