Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/235

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Je me rappelle (et ces souvenirs sont déjà loin de moi), je me rappelle que, dans mon enfance, mon grand-père m’a raconté qu’après son évasion, il s’était tenu longtemps caché avec sa femme Loyse, d’abord dans la caverne des Enfants du Gui, puis dans une solitude plus profonde encore, vivant de fruits et de racines que mon grand-père allait chercher la nuit, et souvent à de grandes distances, dans les champs cultivés.

La saison était belle et douce ; les deux pauvres esclaves, au fond de leur retraite, jouissaient avec délices des seuls jours de liberté qu’ils eussent jamais connus. Cependant, l’été passa, puis l’automne ; l’hiver approchait, et, avec lui le froid, le manque de fruits et de racines ; enfin le moment venait où mon aïeule allait mettre mon père au monde ; ses vêtements tombaient en lambeaux, sa santé s’affaiblissait de plus en plus… Mon grand-père se résigna de nouveau à l’esclavage, plutôt que de voir sa femme mourir de misère et de faim, mort qu’aurait partagée l’enfant qu’elle portait dans son sein.

Les esclaves fugitifs que l’on arrêtait loin du domicile de leur maître, ou qui refusaient de dire le nom de leur possesseur, lorsque, comme mon grand-père et sa femme, ils étaient parvenus à se débarrasser de leur collier, où se trouvait écrit le nom de leur maître, ces esclaves appartenaient au fisc romain, et étaient ou vendus à son profit, ou employés, toujours comme esclaves, aux travaux et constructions publics.

Mon aïeul et sa femme, après plusieurs jours de marche dans les montagnes, arrivèrent, presque mourants de fatigue et de faim, jusqu’aux faubourgs de la ville de Marseille ; ils demandèrent la demeure de l’agent du fisc, avouèrent qu’ils avaient fui de la maison de leur maître et qu’ils se rendaient à discrétion.

Les dieux voulurent que l’agent du fisc fût humain ; il eut pitié de mon aïeul et de sa femme, et leur promit qu’au lieu d’être vendus, ils resteraient esclaves du fisc, et seraient employés, mon aïeul aux travaux que l’on exécutait à Marseille, mon aïeule dans la maison