Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/236

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de l’agent pour soigner les enfants ; mais ce Romain ne put épargner à mon grand-père et à sa femme la honte et la douleur d’être, selon la loi, marqués au front comme esclaves fugitifs.

Pendant de longues années, le sort de mon aïeul fut supportable, quoique soumis aux plus durs travaux ; employé d’abord à la construction d’un aqueduc, il transportait, soit sur son dos, soit attelé à un chariot, les pierres destinées aux bâtisses… Il rentrait le soir, brisé de fatigue ; mais, du moins, au lieu de coucher à l’ergastule, ainsi que ses compagnons d’esclavage, il revenait auprès de sa femme et de son enfant, faveur que mon aïeule avait, par sa douceur et son zèle, obtenue de la femme de l’agent du fisc.

Les années passèrent ainsi… Mon grand-père, devenu vieux et usé par le travail, incapable de continuer de porter de lourds fardeaux, fut chargé par le Romain du soin de cultiver son jardin… Mon aïeule mourut peu de temps avant que mon père fût en âge de se marier, comme se marient les esclaves, et ma mère perdit la vie en me donnant le jour… J’avais huit ans, lorsque mon père, resté esclave du fisc et attaché à la culture, fut écrasé sous la roue d’un moulin à huile qu’il faisait mouvoir. Le fils de l’agent avait succédé à l’emploi de son père ; à sa recommandation, il conserva mon aïeul auprès de lui comme esclave jardinier : celui-ci, quoique très-vieux, suffisait à ces fonctions.

Après la mort de ma mère, une autre esclave gauloise de la maison m’avait nourri en même temps que sa fille Geneviève, ma sœur de lait et d’esclavage. Dès l’âge de dix ans, nous étions employés tous les deux aux menus travaux de la maison… Mais, peu d’années après, notre maître, chargé, comme son père, de la surveillance des esclaves du fisc, me fit apprendre le métier de tisserand, afin de pouvoir retirer un profit de moi en me plaçant à loyer ; Geneviève, ma sœur apprit l’état de lavandière.

J’avais quinze ans lorsque mon grand-père, se sentant de plus en plus affaibli, pressentit sa fin prochaine… Il occupait une cabane