— Oui… dans le royaume des cieux, — dit Jeane d’une voix douce et ferme.
— Ah ! vraiment ? — reprit le seigneur Chusa, son mari, d’un air sardonique, — il s’agit seulement du royaume des cieux ?… Vous croyez cela ?… Pourquoi donc alors, il y a quelque temps, un nommé Pierre, un de ses disciples, je crois, lui ayant dit en propres termes : « Maître ? voici que nous abandonnons tout et que nous te suivons ; quoi donc aurons-nous pour cela[1] ?
— Ce Pierre était un homme de prévoyance, — dit le banquier Jonas d’un air railleur ; — ce compère ne se payait pas de viande creuse.
— À cette question de Pierre, — reprit Chusa, — que répond le Nazaréen, afin d’exciter la cupidité des bandits dont il veut se faire tôt ou tard des instruments ? Il répond ces propres paroles :
« Personne n’abandonnera sa maison, ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, ses fils et ses champs pour moi et pour l’Evangile, qu’il ne reçoive : pour le présent cent fois plus qu’il n’a abandonné, et dans les siècles futurs, la vie éternelle[2]. »
— Pour le présent… c’est assez clair, — dit le docteur Baruch ; — il promet, pour le présent aux hommes de sa bande, cent maisons au lieu d’une qu’ils quittent pour le suivre ; un champ cent fois plus grand que celui qu’ils abandonnent ; et, en outre, pour l’avenir, dans les siècles futurs, il assure à ces mécréants la vie éternelle !
— Où les prendra-t-il ces cent maisons pour une ? — reprit le banquier Jonas ; — oui, où les prendra-t-il ces champs promis à ces vagabonds ? Il nous les prendra à nous autres possesseurs de biens, à nous autres chameaux, pour qui l’entrée du paradis est aussi étroite que le trou d’une aiguille, parce que nous sommes riches.
— Je crois, mes seigneurs, — reprit Jeane, — que vous interprétez mal les paroles du jeune maître ; elles ont un sens figuré.