Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/41

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quatre bœufs noirs, avec une femme pendue au timon ainsi que ses deux enfants ?

— Si je l’ai vue ! — s’écria le maquignon en soupirant tristement, — si je l’ai vue !… Ah ! que d’excellente marchandise perdue ! Nous avons compté dans ce chariot jusqu’à onze femmes ou jeunes filles, toutes belles… oh ! belles !… à valoir au moins quarante ou cinquante sous d’or chacune… mais mortes… tout à fait mortes !… Et elles n’ont profité à personne !…

— Et dans ce chariot… il ne restait ni femmes… ni enfants… vivants ?…

— De femmes ?… Non… hélas ! non… pas une… au grand dommage des soldats romains et au mien ; mais, des enfants… il en est resté, je crois, deux ou trois, qui avaient survécu à la mort que leur avaient voulu donner ces féroces Gauloises, furieuses comme des lionnes…

— Et où sont-ils ? — m’écriai-je en pensant à mon fils et à ma fille qui étaient peut-être des survivants ; — où sont-ils ces enfants ? Réponds… réponds !…

— Je te l’ai dit, brave Taureau, je n’achète que les blessés ; un de mes confrères aura acheté le lot d’enfants… ainsi que d’autres petits, car l’on en a encore ramassé quelques-uns vivants dans d’autres chariots… Mais que t’importe qu’il y ait ou non des enfants à vendre ?…

— C’est que, moi, j’avais une fille et un fils… dans ce chariot, — ai-je répondu en sentant mon cœur se briser.

— Et de quel âge ces enfants ?

— La fille, huit ans… le garçon, neuf ans…

— Et ta femme ?

— Si aucune des onze femmes du chariot n’a été trouvée vivante, ma femme est morte.

— Et voilà qui est fâcheux, très-fâcheux ; ta femme était féconde, puisque tu avais déjà deux enfants ; on aurait pu faire un bon marché de vous quatre… Ah ! que de bien perdu !…