Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/191

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Et les esclaves qui, ruisselants de sueur, avaient un instant déposé leur filet de pêche, rempli de gros poissons d’étang que l’on voyait frétiller encore à travers les mailles, reprirent leur pesant fardeau et se dirigèrent vers le burg. Lorsqu’ils eurent disparu, l’ours se dressa sur ses pattes de derrière, jeta sa tête à ses pieds, et s’écria :

— Sang et massacre ! ils brûleront demain ma belle évêchesse !… Et Ronan ! notre brave Ronan ! supplicié aussi !… Souffrirons-nous cela, vieux Karadeuk ?

— Je vengerai mes fils… ou je mourrai près d’eux !… Ô Loysik ! ô Ronan ! torturés… torturés !… et demain, la mort !…

— Aussi vrai que le souvenir de l’évêchesse me brûle le cœur ! la torture d’aujourd’hui, le supplice de demain, l’arrivée de ce Chram avec ses gens de guerre !… tout cela bouleverse nos projets… Au lieu d’être conduits et jugés à Clermont dans quelques jours, Ronan et l’évêchesse seront mis à mort demain matin dans ce burg… au lieu d’être ingambes et guéris de leurs blessures, Ronan et son frère sont impotents ; les leudes de Chram, réunis à ceux du comte et à ses gens de pied, forment une garnison de plus de trois cents hommes de guerre, ils occupent ce burg… et pour enlever Ronan et Loysik, incapables de marcher, la petite esclave, quasi mourante, et ma belle évêchesse, combien sommes-nous ? toi et moi… Tiens, vieux Karadeuk, si je sais comment nous sortirons de ce guêpier, je veux devenir véritablement ours, et non plus ours des kalendes de janvier (Y), ainsi que je le suis à cette heure… Ah ! celui-là qui m’eût dit, lorsque déguisé, comme tant d’autres, en bestial, je fêtais les saturnales de la nuit de janvier… celui-là qui m’eût dit : Mon joyeux garçon, tu fêteras les kalendes d’hiver en plein été, j’aurais répondu : Va, bonhomme, ce jour-là il fera chaud… et j’aurais dit vrai… car je serais plus au frais dans un four brûlant que sous cette peau !… La rage et la chaleur me mettent en eau… Tu restes muet, mon vieux Vagre… à quoi penses-tu ?

— À mes fils… Que faire… que faire ?…