l’étranger seraient funestes à mon fils… Pourquoi vous ai-je cédé ? pourquoi ce matin l’ai-je laissé partir, mon Karadeuk bien-aimé !… C’est fait de lui… je ne le reverrai plus… pauvre femme que je suis !
— Qu’avez-vous, Madalèn ? qu’as-tu, Jocelyn ? pourquoi cette pâleur ? pourquoi ces larmes ? qu’est-il arrivé à mon Karadeuk ?
— Lisez, mon père, lisez ce petit parchemin, qu’Yvon, le bouvier, vient de m’apporter…
— Ah ! maudit ! maudit soit ce colporteur avec sa Bagaudie ; il a ensorcelé mon pauvre enfant… Les Korrigans sont cause de tout le mal…
Moi, pendant que mon fils et sa femme se désolaient, j’ai lu ceci, de la main de mon petit-fils :
« Mon bon père et ma bonne mère, lorsque vous lirez ceci, moi, votre fils Karadeuk, je serai très-loin de notre maison… J’ai dit à Yvon, le bouvier, que j’ai rencontré ce matin aux champs, de ne vous remettre ce parchemin qu’à la nuit, afin d’avoir douze heures d’avance, et d’échapper à vos recherches… Je vais courir la Bagaudie contre les Franks et les évêques… Le temps des chef des cent vallées, des Sacrovir, des Vindex, est passé ; mais je ne resterai pas paisible au fond de la Bretagne, seul pays libre de la Gaule, sans tâcher de venger, ne fût-ce que par la mort d’un des fils de Clovis, ce monstre couronné, l’esclavage de notre bien-aimée patrie !… Mon bon père, ma bonne mère, vous gardez auprès de vous mon frère aîné Kervan et ma sœur Roselyk ; soyez sans courroux contre moi… Et vous, grand-père qui m’aimiez tant, faites-moi pardonner, que mes chers parents ne maudissent pas leur fils
» Karadeuk. »
Hélas ! toutes les recherches ont été vaines pour retrouver ce malheureux enfant.
J’avais commencé ce récit parce que l’entretien du colporteur m’avait frappé… Notre famille retirée, j’avais encore longuement causé avec cet étranger, parcourant en tous sens la Gaule depuis vingt ans,