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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/215

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Karadeuk et son ours, précédés du majordome, se trouvaient au seuil de la salle du festin lors de cette dispute promptement calmée. Le majordome, s’étant approché de son maître, lui dit :

— Seigneur comte ?

— Que veux-tu ?

— Le bateleur, son ours et son singe sont là.

— Quoi, comte, tu as ici des ours ?

— Chram, c’est un bateleur voyageant avec ses bêtes… J’ai pensé que peut-être ce divertissement te plairait après le festin, j’ai ordonné d’amener cet homme.

— Qu’il vienne, comte, qu’il vienne… Tu nous donnes un régal vraiment royal !

La nouvelle de ce divertissement, accueillie avec joie par tous les Franks, leur fit oublier leur querelle et leurs défis échangés : les uns se levèrent, d’autres montèrent sur leurs bancs pour voir des premiers entrer l’homme, l’ours et le singe. Lorsque Karadeuk parut enfin, des éclats de rire germaniques retentirent d’une force à ébranler la salle, non que l’aspect du vieux Vagre fût réjouissant ; mais rien ne se pouvait imaginer de plus grotesque que l’amant de l’évêchesse sous la peau de l’ours ; il s’avançait pesamment, vêtu de sa casaque à capuchon rabattu, et semblait ébloui de la lumière des torches, quoique ces vingt flambeaux ne jetassent qu’une clarté vacillante et douteuse dans cette salle immense. Grâce à cette lumière peu éclatante, et à l’ample casaque dont le Vagre était à demi enveloppé, son apparence ursine était parfaite. De plus, afin d’éloigner les curieux, Karadeuk, raccourcissant dès son entrée la chaîne dont il conduisait l’animal, s’écria :

— Seigneurs, n’approchez pas à la portée de la dent de cet ours, il est sournois et féroce…

— Bateleur, veille sur ta bête ; si elle avait le malheur de blesser quelqu’un ici, je la ferais couper en quatre quartiers, et tu recevrais pour ta part cinquante coups de fouet sur l’échine !