Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/218

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sance cette sauvage Armorique ? ce foyer d’idolâtrie druidique, la seule province de la Gaule qui ait, jusqu’aujourd’hui, pu résister aux armes du pieux roi Clovis, ton aïeul, et de ses dignes fils et petits-fils.

— Évêque, tu en parles fort à ton aise… Plusieurs fois Clovis et les rois franks, mes ancêtres, ont envoyé leurs meilleurs guerriers à la conquête de cette terre maudite, et toujours nos troupes ont été anéanties au milieu des marais, des rochers et des forêts de l’Armorique… Non, ce ne sont pas des hommes, ces Bretons indomptables !… ce sont des démons !… Ah ! si toutes les Gaules avaient été peuplées de cette race infernale, rebelle à l’Église catholique, à cette heure, la plus grande partie de la Gaule ne serait pas en notre pouvoir ! Mais, qu’as-tu donc, bateleur ?

— Moi, glorieux roi ?

— Une larme a coulé sur ta barbe grise…

— S’il n’en a coulé qu’une, c’est que les yeux des vieillards sont avares de larmes…

— Et pourquoi aurais-tu pleuré davantage ?

— Ô roi ! j’aurais pleuré toutes les larmes de mon corps sur ces Bretons, Gaulois comme moi, que leur détestable idolâtrie druidique voue aux flammes éternelles, comme le disait le saint évêque : malheureux aveugles, qui ferment les yeux à la divine lumière de la foi ! malheureux rebelles, qui osent tourner leurs armes contre nos bons seigneurs et maîtres, les rois franks, à qui nos bienheureux évêques nous ordonnent d’obéir au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit… Ô prince ! je vous le répète, si les yeux d’un vieillard étaient moins avares de larmes, elles couleraient à flots sur l’égarement de ces malheureux !…

— Bateleur ! tu es un pieux homme, — dit Cautin, — agenouille-toi et baise ma main…

— Saint évêque ! bénie soit la précieuse faveur que vous m’accordez… que je la rebaise encore, cette main sacrée.

— Relève-toi et aie confiance dans le Seigneur et dans la sainte