Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/239

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çà et là, ainsi que les gens de Neroweg, et s’efforçant de faire sortir des écuries embrasées, les chevaux et les mulets, chargés à la hâte ; des hommes du comte, non moins effarés, apportaient sur leurs épaules, et jetaient loin du feu les objets qu’ils avaient pu arracher aux flammes, et retournaient aux bâtiments, afin de disputer d’autres débris à l’incendie. De bons esclaves, implorant le ciel, poussaient à grand’peine devant eux le bétail effarouché, ou tiraient en vain par le licou les chevaux cabrés d’épouvante : les plus dévots de ces captifs s’agenouillaient éperdus, se frappant la poitrine, et suppliaient le bienheureux évêque Cautin, que l’on ne voyait pas, de mettre un terme au désastre par un nouveau miracle.

Quel tumulte infernal !… qu’il est doux à l’oreille d’un Gaulois qui se venge du féroce conquérant de son pays, d’un Gaulois qui se venge de l’implacable ennemi de sa race ! Par les os de nos pères ! la belle musique ! hennissement des chevaux, beuglements des bestiaux, imprécations des Franks, cris des blessés que les décombres enflammés brûlaient ou écrasaient en croulant ! Et quelle belle lumière éclairait ce tableau ! lumière rouge, flamboyante, mais moins flamboyante encore que celle de cet immense incendie qui éclairait, il y a des siècles, la marche de l’aïeul de Ronan, Albinik le marin, allant, avec sa femme Méroë, de Vannes à Paimbeuf braver César dans son camp… Oui… qu’est-ce que le maigre incendie de ce burg frank, auprès de cet embrasement de vingt lieues, de cet océan de flammes, couvrant soudain ces contrées, la veille si florissantes, si fécondes, si populeuses, et ne laissant après lui que débris fumants et solitude désolée ! « Ô liberté ! que tu coûtes de larmes, de désastres et de sang ! » disaient nos pères, ces fiers Gaulois des temps passés, en portant la torche au milieu de leurs villes, de leurs bourgs et de leurs villages… « Ô liberté ! liberté sainte !… nous nous ensevelirons avec toi sous les ruines fumantes de la Gaule ; mais nous n’aurons pas vécu esclaves… et le pied d’un conquérant abhorré ne foulera que des cendres dans ces contrées dévastées ! »