Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/69

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— Accordez-moi sa vie…

— Non, non…

— Tu l’as dit, ermite : malheur aux âmes endurcies…

— Vois comme il se repent… à mort… à mort !

Et, furieux, ils se précipitèrent sur le prélat qui, dans son épouvante, appela le moine à son aide ; mais celui-ci, avant cet appel, avait couvert l’évêque de son corps en s’écriant :

— Tuez-moi donc aussi, moi qui vous aime du plus profond de mon cœur et vous console de mon mieux, pauvres esclaves, tuez-moi donc aussi, moi qui ai pour vous plus de pitié que de blâme ! Vagres errants au fond des bois ! car la juste haine de l’oppression franque, les terribles iniquités du temps vous ont poussés à la révolte… et si vous prenez aux riches, c’est du moins pour donner aux pauvres… Non, non, vous ne tuerez pas cet homme, vous n’êtes pas des bourreaux ! vous m’accorderez sa vie !

— L’évêque nous a trop fait souffrir. Œil pour œil, dent pour dent.

— Une lâche vengeance effacera-t-elle vos souffrances passées ? Quoi ! vous, dont les aïeux étonnaient le monde par leur bravoure généreuse… vous allez massacrer de sang-froid un homme sans défense ? Seriez-vous devenus lâches ? vous, fils des vaillants Gaulois des temps passés ?

Vagres et esclaves restèrent silencieux, et ne menacèrent plus l’évêque.

— Ermite, tu es l’ami des pauvres gens. Nous t’accordons la vie de cet homme… mais il faut qu’il nous suive en Vagrerie.

— Bien dit, Ronan ! et dans nos repos, il nous fera la cuisine ; il est gourmand comme un évêque, foi de Dent-de-Loup ! nous dînerons en prélats.

— Évêque, choisis ! cuisinier ou pendu ?

— Sacrilèges ! avoir pillé, incendié ma villa épiscopale, et me forcer d’être leur cuisinier ! abomination de la désolation !… Moine, tu les entends, hélas ! hélas !… et tu n’as pour eux ni malédiction ni