Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/70

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anathème… Est-ce ainsi que tu me défends ?… Ne m’as-tu sauvé la vie que pour jouir de mon abjection !

— Tais-toi ! Jésus de Nazareth, dont la vie avait été aussi pure que la tienne a été coupable ; Jésus, dans le prétoire romain, au milieu des soldats qui l’accablaient de railleries, de sanglants outrages, disait seulement : Pardonnez-leur, mon Dieu ; ils ne savent ce qu’ils font

— Mais ils savent ce qu’ils font, ces impies, en me prenant pour cuisinier… Et tu oses me conseiller de pardonner cette énormité sacrilège…

— Songe à ta vie passée… au lieu de te plaindre, tu remercieras le ciel…

— Allons, mes Vagres, — dit Ronan, — allons, voici l’aube ; emportons notre butin dans les chariots de l’évêque, et en route ! Quel beau jour pour les bonnes gens du voisinage ! Mais, avant notre départ, deux mots à cette enfant.

Et s’avançant vers la petite esclave, qui, assise sur les marches de l’autel, avait écouté tout ceci fort étonnée, presque sans quitter Ronan des yeux, celui-ci lui dit avec bonté :

— Pauvre enfant, sans père ni mère, viens avec nous ; ne crains rien… la Vagrerie, c’est, vois-tu, le monde renversé : l’esclave et le pauvre sont sacrés pour nous ; notre haine est pour le riche conquérant… Cette vie d’aventures et de dangers te fait-elle peur ? l’ermite, notre ami, quoiqu’il ait le grand défaut d’empêcher les évêques Cautin d’être pendus, l’ermite, notre ami, te conduira chez une bonne âme dans quelque ville, seul endroit où l’on trouve aujourd’hui, en Gaule, un peu de sécurité, lorsque toutefois la ville n’est pas mise à feu, à sang et à sac par l’un de nos rois franks, dignes fils et petit-fils du glorieux Clovis, qui leur a laissé la Gaule en héritage, et qui sont autant qu’il l’était, curieux de se piller et de s’égorger entre frères et parents…

— Je te suivrai, Ronan… D’abord, tu m’as fait peur ; mais quand