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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/353

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toi, mon fils, Julyan, cette chronique laissée par mon père, chronique à laquelle j’ajoute aujourd’hui ces quelques lignes : J’ai atteint, en cette année 1270, ma cinquante-huitième année, sans être, pour ainsi dire, jamais sorti de la boutique que le fils de Jean Belot m’a cédée. J’ai, depuis longues années, obscurément continué mon commerce à travers toutes les vicissitudes, tous les malheurs de ces temps de troubles, de guerres civiles ou étrangères, dont on souffre d’ailleurs un peu moins à Paris que dans les autres provinces de la Gaule. Le roi Louis IX est mort cette année de la peste à Tunis, ensuite de sa vaine croisade contre les infidèles de la Palestine. Ce prince dévotieux, dernièrement canonisé par l’Église sous le nom de saint Louis, était d’un caractère bénin, malgré sa dévotion outrée. Il fit souvent preuve de justice, de sagesse et d’humanité. Il a tenté d’utiles réformes qui, malheureusement, on le voit déjà, ne lui survivront pas. Peu batailleur, il a dû céder aux Anglais le Périgord, le Limousin, l’Agénois, et une grande partie du Querci et de la Saintonge ; de sorte que les Anglais, ces descendants des pirates normands du vieux Rolf, sont toujours maîtres d’une grande partie de la Gaule, ravagent incessamment les provinces qu’ils ne possèdent pas, et mettent le comble aux horribles misères des malheureux serfs des campagnes, plus que jamais pressurés, torturés par les seigneurs féodaux. En ces temps de troubles, les communications sont si difficiles, que je ne sais rien de la Bretagne et du Languedoc. Je te lègue, à toi, mon fils Julyan, nos reliques de famille et la légende écrite par mon père Mylio-le-Trouvère.




Moi, Julyan-le-Brenn, petit-fils de Mylio-le-Trouvère, et fils de Karvelaïk, j’inscris ici la date de la mort de mon digne et bon père : je l’ai perdu le 28 du mois de juin 1271. J’exerce, comme lui, le métier d’écrivain libraire dans notre boutique de la porte Saint-Denis. Marguerite, ma femme, ne m’a pas encore donné d’enfant.