Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/40

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droits ; quoiqu’elle fût gentillette, je me souciais assez peu de la femme de ce paysan ; mais il fallait prouver à cette mauvaise plèbe rustique que nous la possédons corps et âme ; aussi, messeigneurs, n’oublions jamais le proverbe : Poignez vilain, il vous craindra ; craignez vilain, il vous poindra (B). Et sur ce, allons entendre la sainte messe ; vous me direz si Gloriande de Chivry, ma fiancée, que vous allez admirer à mon banc seigneurial, n’est pas un astre de beauté ? — Heureux Conrad ! — dit Gérard de Chaumontel, le chevalier larron, — une fiancée belle comme un astre et, par surcroît, la plus riche héritière de ce pays, puisque, après la mort du comte de Chivry, sa seigneurie, faute de hoirs mâles, retombera de lance en quenouille ! Ah ! Conrad ! quels jours tissus d’or et de soie tu fileras grâce à l’opulente quenouille de Gloriande de Chivry !

Au moment où les seigneurs ainsi devisant venaient d’entrer dans l’église, Mazurec, gardé prisonnier, disparaissait sous la voûte, et un homme du sire de Nointel amenait Aveline-qui-jamais-n’a-menti. Elle avait dix-huit ans au plus ; malgré sa pâleur et le bouleversement de ses traits, leur beauté était frappante. Elle marchait d’un pas défaillant, encore vêtue de son humble robe de noce en grosse toile blanche, ses cheveux épars couvraient à demi ses épaules ; ses bras meurtris portaient encore les traces de liens durement serrés, car cette nuit-là même, pour triompher de la résistance désespérée de sa victime, le sire de Nointel avait dû la faire garrotter. Écrasée de honte à la pensée d’être ainsi livrée en spectacle à la foule, Aveline, dès son entrée sur le parvis, ferma les yeux par un mouvement involontaire, et ne vit pas d’abord Mazurec que l’on reconduisait en prison ; mais au cri déchirant qu’il poussa… elle tressaillit, trembla de tous ses membres, et son regard rencontra celui de son mari, regard navrant, désolé, où se peignaient à la fois un amour passionné et une sorte de répulsion douloureuse mêlée de jalousie féroce, soulevée chez Mazurec par le souvenir de l’outrage que sa femme avait subi. Ce dernier sentiment se trahit par un mouvement involontaire de ce malheureux qui, fuyant le regard