Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/50

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été forcée par notre sire… Mais regarde-la donc, la belle damoiselle !

Mazurec, sortant de son accablement et sentant la rage de nouveau lui monter au cœur, leva brusquement la tête. Pendant un moment, il contempla d’un œil ardent et rougi par les larmes la fiancée de son seigneur, cette fière damoiselle resplendissante de parure et de beauté, rayonnante de bonheur, entourée de brillants chevaliers qui, quêtant ses sourires, s’empressaient autour d’elle.

— À cette heure, ta fiancée boit sa honte et ses larmes, — dit tout bas à l’oreille de Mazurec la voix mordante d’Adam-le-Diable. — Quoi ! pour venger Aveline et toi, tu ne tâcherais pas de tuer ce noble qui t’a volé !… ce larron… seule cause de ton malheur !…

— Mon bâton ! — s’écria le vassal en bondissant, ivre de fureur, au moment où un des sergents d’armes venait lui signifier qu’il ne pouvait s’arrêter ainsi dans la lice à regarder les dames et qu’il eût à se rendre dans l’une des tentes afin de prêter, avant le combat, les serments d’usage entre les mains du curé de Nointel. Mazurec, possédé de haine et de rage, suivit précipitamment les pas du sergent, et Mahiet, marchant plus lentement, dit à Adam-le-Diable :

— Vous avez du souffrir beaucoup... Je vous écoutais tout à l’heure. Vous savez trouver le vif de la haine…

— Il y a trois ans, — répondit le serf d’un air farouche, — j’ai tué ma femme d’un coup de hache.

— À Bourcy… près de Senlis.

— Qui vous l’a dit ?

— Je passais en ce village le jour du meurtre… Vous avez préféré voir votre femme morte que souillée par votre seigneur.

— Oui.

— Et comment êtes-vous devenu serf de cette seigneurie ?

— Ma femme tuée, je me suis caché pendant un mois dans la forêt de Senlis, où j’ai vécu de racines, et puis je suis venu en ce pays. Guillaume m’a donné asile ; je me suis offert à l’intendant de la seigneurie de Nointel comme bûcheron. Au bout d’un an, l’on m’a compté