Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/6

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côté horriblement vexés par la noblesse, ils ouvrirent leurs portes aux Jacques, dont près de neuf mille entreront dans leurs murs ; un assez grand nombre de Parisiens s’étaient joints à eux… Le captal de Buch et le comte de Foix, à la tête de leurs hommes d’armes couverts de fer, attaquèrent les Jacques et sabrèrent ces paysans demi-nus, sans pouvoir être atteints ; avant la fin de cette journée, sept mille Jacques avaient été massacrés ou noyés ; les gentilshommes mirent ensuite le feu à la ville de Meaux, empêchant en même temps les bourgeois de sortir de leurs maisons, et les firent tous périr dans les flammes ; encouragés par cette victoire, les gentilshommes se réunirent en petites troupes, se répandirent dans les campagnes, brûlant les villages, massacrant les paysans, sans s’informer s’ils avaient ou non appartenu à la Jacquerie ; le roi de Navarre fit supplicier leur chef nommé Guillaume Caillet. » (Ibid., p, 631-533.)


Enfin, Henri Martin n’est pas moins explicite sur les causes de ce puissant mouvement insurrectionnel :


«… Ce qu’avaient enduré les paysans passait la mesure des misères humaines ; les nobles avaient rejeté sur leurs vassaux tout le poids du désastre de Poitiers, et n’en avaient gardé pour eux que la honte… Chaque seigneur tira de ses vilains libres ou non libres la plus grosse part qu’il put ; quant aux serfs, aux taillables et corvéables à merci, les fouets, les cachots, les tortures, tout fut bon pour leur extorquer leur dernier denier ; on répondait à leurs plaintes par des coups et des gausseries : Jacques Bonhomme (ainsi que la noblesse appelait le paysan), Jacques Bonhomme a bon dos, il souffre tout… Mais Jacques Bonhomme, après avoir vu sa fille outragée, son fils massacré, sort sanglant et affamé des ruines de sa chaumière, et le 21 mai 1358, plusieurs menues gens de Nointel, de Cramoisi, et de quelques autres villages du Beauvoisis et des environs de Clermont, s’assemblèrent, et s’entre-dirent que tous les nobles de France, chevaliers et écuyers, honnissaient et trahissaient le royaume, et que ce serait grand bien de les détruire tous. — Et chacun dit : — Il est vrai, il est vrai ! honni soit celui par qui il y aura retard, que tous les gentilshommes ne soient détruits ! — Ils élurent pour leur chef un très-rusé paysan nommé Guillaume Caillet, du village de Merlo, et s’en allèrent assaillir les châteaux, sans nulle armure hors que bâtons ferrés et couteaux. (Chronique de Nangis, cont. XII.)… En peu de jours l’insurrection se répandit dans tous les sens avec rapidité ; elle embrasa le Beauvoisis, l’Amiénois, le Ponthieu, le Vermandois, le Noyonnais, la seigneurie de Couci, le Laonnais, le Soissonnais, le Valois, la Brie, le Gâtinais, le Hurepoix, toute l’Île de France ; elle couvrit toute l’embouchure de la Somme, etc., etc. Plus de cent mille vilains quittèrent la bêche pour la pique ; les chaumières avaient assez brûlé, c’était le tour des châteaux. La noblesse était dans la stupeur ; les animaux de proie ne seraient pas plus étonnés si les timides troupeaux qu’ils sont accoutumés à déchirer sans résistance se retournaient tout à coup contre eux avec furie ; presque nulle part les nobles n’essayèrent de se défendre… Les Jacques combattaient, afin de rendre tortures pour tortures, outrage pour outrage, afin d’épuiser en quelques jours cet horrible trésor de haine et de vengeance, que les générations s’étaient transmises d’âge en âge en expirant sur la glèbe… Les nobles, revenus de leur premier effroi, reprirent l’offensive, brûlant les villages et égorgeant tous les paysans qui tombaient entre leurs mains ; le chef de la Jacquerie du Beauvoisis, Guillaume Caillet, essaya de traiter avec le roi de Navarre ; celui-ci donna de belles paroles à Guillaume Caillet et à ses adhérents, qui se rendirent à Clermont, sur l’invitation de ce roi, qui les fit supplicier, et couronner Guillaume Caillet d’un trépied de fer rouge, dit un historien (Vita prima Innocentii VI, ap. Balus. pap. Avenion., t. 1, p. 554.) Le régent et ses soudoyers entre la Seine et la Marne détruisirent également de nombreuses bandes de Jacques ; les nobles faisaient la chasse aux paysans, comme ceux-ci l’avaient faite aux gentilshommes ; ils incendiaient les villages, tuaient les vilains et les serfs, coupables ou non, partout où ils les rencontraient ; plus de vingt mille avaient péri avant la Saint-Jean d’été ; le carnage continua longtemps encore, des cantons entiers furent dépeuplés. » (Hist. de France, p. 540 à 548, vol. V.)


Viennent ensuite des témoignages contemporains et de nature diverse : les uns, et ce sont les plus nombreux, constatent les causes premières de la Jacquerie et de la sympathie que cette insurrection,