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malgré ses excès, inspirait aux populations urbaines et à la bourgeoisie. Ainsi on lit dans la Chronique de Saint-Denis, t. VI, p. 113 :

«… Il y avait bien peu de villes de communes ou autres en France qui ne fussent mues (irritées) contre les gentilshommes, tant en faveur des gens de Paris que pour le mouvement des paysans. »

On lit dans le Continuateur de la Chronique de Guillaume de Nangis, t. II, p. 112 :

«… Dans l’été de l’année 1358, les paysans des environs de Saint-Leu et de Clermont au diocèse de Beauvais, ne pouvant plus supporter les maux qui les accablaient de tous côtés, et voyant que leurs seigneurs, loin de les défendre, les opprimaient et leur causaient plus de dommage que les ennemis, crurent qu’il leur était permis de se soulever contre les nobles du royaume et de prendre leur revanche des mauvais traitements qu’ils en avaient reçus. »

Et plus loin, après avoir dépeint les massacres des paysans coupables ou non d’avoir fait partie de la Jacquerie, la chronique ajoute :

«… Si grand mal fut fait par les nobles de France, qu’il n’était pas besoin des Anglais pour détruire le pays ; car, en vérité, les Anglais, ennemis du royaume, n’eussent pu faire ce que firent les nobles nationaux (intranei, dit le texte du chroniqueur, 117, ibid.) »

Un autre chroniqueur contemporain, le noble sire Jean Froissart, chapelain, se tait prudemment sur les causes de la Jacquerie. Ces manants révoltés, à bout de misères, d’exactions, de tortures, ces Jacques noirs, petits, laids et à peine armés ne lui inspirent qu’aversion et dégoût ; il les appelle méchans gens. Il se complaît dans la narration de leurs supplices, de leur extermination ; mais, contradiction étrange, le chapelain chroniqueur est épris d’une tendresse touchante pour les aventuriers, presque tous aux gages de la noblesse, qui ravageaient, pillaient, incendiaient le pays à l’envi des Anglais. Il appelle ces pillards, ces incendiaires : pauvres brigands


Citons…


«… Et toujours gagnaient pauvres brigands à piller villes et châteaux… ils épiaient une bonne ville ou châtel, et puis s’assemblaient et entraient dans la ville, droit sur le point du jour, et boutaient le feu en une maison ou deux, et ceux de la ville cuidaient (craignaient) que ce fussent mille armures de fer… s’enfuyaient, et les pauvres brigands brisaient maisons, coffres et écrins. Ils gagnèrent ainsi plusieurs châteaux et les revendirent… Entre les autres eut un brigand qui détint le fort châtel de Comborne en Limousin, et par ses prouesses, le roi de France voulut avoir ce brigand chez lui, acheta son châtel vingt mille écus, et le fit huissier d’armes du roi de France, et était appelé ce brigand Bacon. » (Chronique de sire Jean Froissard, t. II, p. 480-81.)

Le dévot historien des prouesses de ces pauvres brigands que le roi de France voulut honorer dans la personne de l’un des chefs de ces bandits, en le nommant huissier d’armes, ce dévot historien, disons-nous, ne pouvait naturellement éprouver que de la haine et de l’horreur pour Jacques Bonhomme qui, fou de désespoir et de rage, après des siècles d’asservissement et de douleur, courait aux bâtons, aux fourches, aux faux, et se révoltait enfin contre ses bourreaux.


Citons encore :


« … Advint en ce temps-là une grand’merveilleuse tribulation en plusieurs parties du royaume de France, si comme en Beauvoisin, en Brie, et sur la rivière de Marne en Valois, en Laonnais, etc., car aucuns gens des villes champêtres s’assemblèrent en Beauvoisin, et ne furent mie (pas) cent hommes les premiers et avaient fait un chef entre eux qu’ils appelaient chef des Jacques Bonhomme (Guillaume Caillet), et dirent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, honnissaient et trahissaient le royaume, et que ce serait grand bien de tous les détruire ; et chacun de ces mauvais gens se dit : il dit voir ! il dit voir (il dit vrai) ; honni soit celui par qui il demeurera (il y aura du retard) que tous les gentilshommes ne soient détruits. — Lors, se assemblèrent et s’en allèrent, sans autre conseil et sans nulles armures fors (hors) que de bâtons ferrés et de couteaux, en la maison à un chevalier qui près de là demeurait ; si brisèrent la maison et tuèrent le chevalier, la dame et les enfans petits et grands et ardirent (brûlèrent) la maison… Ainsi firent-ils en plusieurs