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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/282

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elle se résolut de récuser de pareils juges et d’en appeler d’eux en Dieu… ce Dieu d’amour, de justice, de pardon !

La lecture du réquisitoire terminée, l’évêque Pierre Cauchon, effrayant de feinte charité, s’avance près du brancard de Jeanne Darc en lui disant d’une voix onctueuse : 


« — Et maintenant, Jeanne, tu sais quelles terribles accusations pèsent sur toi ; nous voici, ma très-chère fille, au terme de ton procès, il est temps de bien réfléchir à ce que tu viens d’entendre ; car si, après avoir été si souvent, si paternellement admonestée par moi, ainsi que par nos très-chers frères, le vicaire de l’Inquisition et autres doctes prêtres, tu persistais, hélas ! dans tes erreurs, au mépris de la révérence due à Dieu, au mépris de la foi et de la loi de Notre-Seigneur Jésus-Christ, au mépris de la sécurité de la conscience catholique ; si tu persistais, dis-je, à te montrer un objet de scandale horrible, de pestilence infecte et nauséabonde, pour les catholiques, ce serait, ma très-chère fille, au grand dommage de ton âme et de ton corps… Au nom de ton âme impérissable, mais éternellement damnable, au nom de ton corps, essentiellement périssable, je t’exhorte une dernière fois, ma très-chère fille, à t’amender, à revenir dans le giron de notre douce et sainte mère l’Église catholique, apostolique et romaine, à te soumettre à l’obéissance de son jugement ; sinon, ma très-chère fille, je t’en avertis charitablement, paternellement, une dernière fois, ton âme serait damnée, ton corps détruit par le feu… ce dont je prie à mains jointes (il les joint) le Seigneur de te préserver !… »

Jeanne Darc fait un effort surhumain pour se lever et se tenir debout, elle y parvient, se raffermit sur ses jambes chancelantes et enchaînées ; élevant alors la main droite vers la voûte, elle s’écrie d’une voix ferme, avec un accent de conviction héroïque :

— J’en prends le ciel à témoin ! je serais condamnée… je verrais les fagots… le bourreau prêt à y mettre le feu… je serais dans le feu… que je répéterais jusqu’à la mort : Oui, j’ai dit la vérité… oui,