Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/76

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pudique désir de prendre des habits d’homme, qu’elle ne quitterait ni jour ni nuit durant le voyage ? Robert, la chasteté annonce toujours une belle âme…

— Si elle est véritablement chaste, elle ne saurait être sorcière, les démons ne pouvant, dit-on, posséder le corps d’une vierge !… Mais, tenez, beau sire, à votre insu, la beauté de cette pucelle vous séduit, vous voulez être son chevalier durant ce long voyage ; il peut offrir d’heureuses chances à votre amoureuse courtoisie, et… — Allons, trêve de plaisanteries, — ajouta Robert de Baudricourt, répondant à un geste d’impatience de son ami. — Quant à moi, voici sérieusement ma pensée sur cette belle fille : Si elle n’est sorcière, elle a le cerveau détraqué par ses visions, se croyant d’ailleurs de bonne foi inspirée de Dieu ; du reste, je l’avoue, plusieurs de ses réponses m’ont surpris, elles annoncent un esprit au-dessus du vulgaire. Mais je suis loin de la regarder comme une femme extraordinaire ; il n’importe, telle qu’elle est ou paraît être, elle peut devenir un instrument précieux. Peuple et soldats, vous l’avez dit, sont ignorants et crédules ; si, frappés de l’assurance et de la beauté de Jeanne, ils voient en elle une envoyée de Dieu ; s’ils croient qu’elle leur apporte un secours surnaturel capable de venger leurs défaites, leur confiance en elle doit les réconforter, les exalter. Cette exaltation, habilement exploitée par des chefs de guerre expérimentés traçant à cette fille le rôle qu’elle doit jouer, peut avoir d’heureux résultats. Voilà, selon moi, sans exagération, tout ce qu’il est possible d’attendre de Jeanne ; c’est à ce point de vue que je vais écrire au roi.

— L’avenir vous prouvera votre erreur. Jeanne est trop sincère et, à tort ou à raison, trop pénétrée de la divinité de sa mission pour accepter le rôle que vous pensez, pour se résigner à être une machine aux mains des chefs ; elle agira d’elle-même, par elle-même. Je la crois douée naturellement du génie militaire, comme l’ont été tant de capitaines d’abord inconnus. Rappelez-vous ses paroles au sujet du siége d’Orléans.