Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/395

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moi, je vous aurais gardé toute votre vie à mon service, parce que vous avez d’assez bonnes inclinations, que vous vous êtes corrigé de plusieurs de vos défauts et de vos mauvaises habitudes, et que vous avez fait tout votre possible pour vous conformer, autant que votre malheureuse nature en est capable, à celle des Houyhnhnms.

(Je remarquerai, en passant, que les décrets de l’assemblée générale de la nation des Houyhnhnms s’expriment toujours par le mot de hnhloayn, qui signifie exhortation. Ils ne peuvent concevoir qu’on puisse forcer et contraindre une créature raisonnable, comme si elle était capable de désobéir à la raison.)

Ce discours me frappa comme un coup de foudre ; je tombai en un instant dans l’abattement et dans le désespoir ; et, ne pouvant résister à l’impression de douleur, je m’évanouis aux pieds de mon maître, qui me crut mort. Quand j’eus un peu repris mes sens, je lui dis d’une voix faible et d’un air affligé que, quoique je ne puisse blâmer l’exhortation de l’assemblée générale, ni la sollicitation de tous ses amis, qui le pressaient de se défaire de moi, il me semblait néanmoins, selon mon faible jugement, qu’on aurait pu décerner contre moi une peine moins rigoureuse ; qu’il m’était im-