Page:Swift - Gulliver, traduction Desfontaines, 1832.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

heure, tandis que tout l’équipage était à dîner, je m’échappai de ma chambre dans le dessein de me jeter dans la mer et de me sauver à la nage, afin de n’être point obligé de vivre avec des yahous. Mais je fus prévenu par un des mariniers ; et le capitaine, ayant été informé de ma tentative, ordonna de m’enfermer dans ma chambre.

Après le dîner, D. Pedro vint me trouver, et voulut savoir quel motif m’avait porté à former l’entreprise d’un homme désespéré. Il m’assura en même temps qu’il n’avait envie que de me faire plaisir, et me parla d’une manière si touchante et si persuasive, que je commençai à le regarder comme un animal un peu raisonnable. Je lui racontai en peu de mots l’histoire de mon voyage, la révolte de mon équipage dans un vaisseau dont j’étais capitaine, et la résolution qu’ils avaient prise de me laisser sur un rivage inconnu : je lui appris que j’avais passé trois ans parmi les Houyhnhnms, qui étaient des chevaux parlans et des animaux raisonnans et raisonnables. Le capitaine prit tout cela pour des visions et des mensonges, ce qui me choqua extrêmement. Je lui dis que j’avais oublié à mentir depuis que j’avais quitté les yahous d’Europe ; que chez les Houyhnhnms on ne mentait point, non pas même les enfans