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LE RÉGIME MODERNE


vait plus cet effet ; déformée, affaiblie et discréditée par ses abus, surtout dans les couvents d’hommes, puis violemment abattue par la Révolution, elle semblait morte. Mais, au commencement du XIXe siècle, voici qu’elle repousse spontanément, par un jet droit, fort, vivace, nouveau et plus haut que l’ancien, débarrassée des excroissances, des moisissures, des parasites qui, sous l’ancien régime, la défiguraient et l’étiolaient. Plus de vœux forcés, de cadets « froqués » pour « faire un aîné », de filles cloîtrées dès leur petite enfance, maintenues au couvent pendant toute leur adolescence, conduites et poussées, puis acculées comme dans une impasse, et précipitées dans l’engagement définitif quand elles étaient d’âge ; plus d’instituts aristocratiques, ordre de Malte, chapitres d’hommes ou de femmes, où les familles nobles trouvaient une carrière et un dépôt pour leurs enfants surnuméraires. Plus de ces vocations fausses et feintes dont le vrai motif était tantôt l’orgueil de race et la volonté de ne pas déchoir, tantôt l’attrait animal du bien-être physique, de l’incurie et de l’inertie ; plus de moines oisifs et, opulents, occupés, comme les chartreux du Val-Saint-Pierre, à trop manger, à s’abrutir dans la digestion et dans la routine, ou, comme les bernardins de Granselve[1] à faire de leur maison un rendez-vous mondain d’hospitalité joyeuse et à figurer eux-mêmes, au premier rang, dans les festins prolongés

  1. L’Ancien Régime, tome I, 185, 236. (Sur la Chartreuse du Val-Saint-Pierre, lire les détails donnés par Merlin de Thionville dans ses Mémoires.)