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L’ÉGLISE


le pape cerné dans le Quirinal ; au bout d’un an, le Quirinal enlevé par un coup de main nocturne, le pape saisi, expédié en poste à Savone, et là séquestré, prisonnier d’État sous un régime presque cellulaire[1], assiégé par les sollicitations et les manœuvres de l’adroit préfet qui le travaille, du médecin vendu qui l’espionne, des évêques serviles qu’on lui dépêche, seul avec sa conscience contre les questionnaires qui se relayent, soumis à des tortures morales aussi savantes et aussi fortes que les anciennes tortures physiques, à une torture si continue et si croissante, qu’il se sent défaillir, perd la tête, « ne dort plus, ne parle presque plus », arrive au seuil et au delà du seuil « de l’aliénation mentale[2] » ; puis, au sortir de la crise, le malheureux vieillard obsédé de nouveau, à la fin, après trois ans d’attente, emmené encore une fois brusquement et de nuit, au secret et incognito sur toute la route, sans répit ni pitié, quoique malade, sauf un arrêt dans les neiges à l’hospice du Mont-Cenis, où peu s’en faut qu’il ne

  1. Comte d’Haussonville, IV, 121 et suivantes (Lettres du préfet, M. de Chabrol, lettres de Napoléon non insérées dans la Correspondance, récit du docteur Claraz). 6000 francs de gratification à l’évêque de Savone, 12 000 francs de traitement au docteur Porta, médecin du pape. « Le docteur Porta, écrit le préfet, paraît disposé à nous servir indirectement de tout son pouvoir… On fait en sorte d’émouvoir le pape, soit par les gens qui l’approchent, soit par tous les moyens qui sont, en notre pouvoir. »
  2. Comte d’Haussonville, IV, 121 et suivantes (Lettres de M. de Chabrol, 14 et 30 mai 1811). « Le pape est tombé dans une complète absorption… Le médecin redoute pour lui une crise d’hypocondrie… Sa santé et sa raison sont altérées. » — Puis, quelques jours après : « L’état d’aliénation mentale est passé ».