Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/177

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quantités irréductibles, qu’on peut appeler comme on voudra, mais que j’appelle croyance et désir. Tant qu’on n’a pas isolé par abstraction ces deux éléments simples, toujours inextricablement emmêlés entre eux et avec quelque élèment affectif, la psychologie est semblable à la chimie avant l’isolement de l’oxygène. Ces deux quantités, en effet, sont les seules choses identiques à elles-mêmes qu’il nous soit donné d’observer directement ou par une induction légitime, d’un bout à l’autre de l’échelle mentale, du plus bas degré de la psychologie animale ou infantile au plus haut degré de la psychologie humaine ou adulte. Il n’est pas une de nos sensations peut-être, visuelle, acoustique, sonore, tactile ou autre, qui soit la même chez l’homme et les animaux supérieurs, et, à coup sûr, beaucoup d’animaux ont un clavier sensationnel profondément différent du notre, plus étendu sur tel point, plus restreint ailleurs, compose de touches qui nous manquent. Et l’on peut s’expliquer, notamment, par un sens électrique, qui nous fait défaut, ou par un prodigieux et inimaginable développement de l’odorat, la merveille de certaines migrations. Mais le dernier des animaux, comme l’enfant qui vient de naître, nous donne des signes manifestes de désir ou de répulsion plus ou moins énergique a l’égard de certains objets et, bientôt après, des marques non moins claires d’affirmation ou de négation qui, pour n’être point verbales, ne laissent pas d’être distinctes et susceptibles aussi de degré. Tout animal qui reconnaît sa proie affirme, in petto, que ce qu’il voit est semblable à ce qu’il a déjà vu et mange, et tout animal qui discerne telle espèce de nourriture comme n’étant point celle qui lui convient fait une proposition négative sans le savoir.