Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/181

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L’enfant, comme l’animal, naît crédule et désireux ; son âme pure, pour ainsi parler[1], consiste en cette double virtualité ou plutôt en une fusion de ces deux virtualités qui cherchent à la fois leur objet et qui le trouvent des la première sensation coexistante avec l’image d’une sensation antérieure. Voila pourquoi la croyance, affirmative ou négative (reconnaissance ou discernement), commence par se proportionner à l’intensité de l’image ou de la sensation, et aussi bien le désir ou la répulsion. Mais cette proportionnalité initiale, qui a donné lieu à l’erreur de prendre la croyance pour une simple qualité de la sensation ou de l’image, ne dure pas longtemps, et, de très bonne heure, il arrive qu’à des images très faibles, ou même à des mots substituts de ces images, s’attache une croyance aussi forte qu’à des perceptions. Et la même remarque s’étend au désir.

L’âme appliquée évolue ainsi, par un continuel apport d’apparitions et de réapparitions dont l’alimente la vie cérébrale, reflet de la vie extérieure. Distinguons bien l’apparaître et le réapparaître mental ; cette distinction est fondamentale en psychologie, comme celle de l’invention et de l’imitation en sociologie. Les apparitions se suivent presque sans ordre et sans fin et ne se fusionnent jamais ; états discontinus et impénétrables malgré la continuité de leur procession, qui fait notre perpétuel étonnement de vivre et, jusqu’au dernier âge, l’incessant renouveau de la conscience. Mais le plus grand nombre passent sans laisser de trace,

  1. Ce n’est qu’une façon de m’exprimer, et on voudra bien ne pas induire de là que je me prononce sur la possibilité d’une vie psychique indépendante des organes. Je cherche, après Kant, l’apport propre du sujet, voilà tout.