Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/29

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ce non-moi à un moment donné ; mais si, dans ce groupe, il a reconnu les signes révélateurs de la présence d’un autre moi, aimé ou hostile, il a trouvé là en quelque sorte son contre-moi, son pendant psychologique, sa rime vivante. Il y a dans le saisissement premier de notre contraire réel, de notre semblable opposé, une joie de découverte indicible que nous avons oubliée, que Robinson se rappela à la vue de Vendredi.

Mais, demandons-nous-le en passant, est-ce que la Vie en général, est-ce que l’Esprit en général s’opposent à quelque chose ? Et que serait l’anti-vie ou l’anti-esprit ? Nous ne concevons rien de pareil, pas plus qu’un anti-espace ou un anti-temps, ou une anti-matière ou une anti-force. Pourquoi cela ? Pourquoi, si toute action suppose une réaction précisément égale et contraire, toute réalité ne suppose-t-elle pas une contre-réalité ? C’est, peut-on répondre, ce semble, qu’il y a deux catégories bien tranchées de réalités : d’une part, des phénomènes qui, regardés de près, se réduisent à des actions, et, d’autre part, des puissances, des lois, ou, pour mieux dire, des virtualités, qu’on nomme Matière, Énergie, Vie, Esprit, Espace et Temps. Dans le sein de chacune de ces virtualités, des milliers d’oppositions apparaissent et disparaissent incessamment : figures symétriques, simultanéités de mouvements contraires, propriétés physiques ou chimiques antagonistes, fonctions alternatives de nutrition et de dénutrition, conflits d’opinions et d’intérêts, batailles… Mais comment chacune de ces virtualités pourrait-elle avoir un contraire ? N’est-elle pas, avant tout, une infinité d’un certain genre, une totalité ? Puisque les extrêmes doivent être du même genre, il faudrait que l’anti-espace, par