fant, car, quoi qu’en disent nos pédants, on est devenu plus simple dans notre siècle. Voiture y est méprisé : étrange différence de nos progrès avec ceux des anciens. Les premiers chez eux étaient trop grossiers, chez nous ils sont trop subtils ; cela vient de ce que leur goût se formait en même temps que leurs idées, mais nous avions des idées avant d’avoir du goût.
En général le goût peut être mauvais, ou par le choix des idées viles, basses, rebutantes, et les peuples riches, à mesure que la société y est plus cultivée, apprennent à les éviter ; ou bien par des images trop peu sensibles. Je m’explique : il y a dans le plaisir que nous font les comparaisons deux plaisirs ; l’un est celui de l’esprit qui rapproche deux idées ; l’autre, et le plus grand sans contredit, est celui qui naît de l’agrément même des images qui lui sont présentées. Toutes les images de choses qui parlent à l’imagination et au cœur, qui plaisent aux sens, embellissent le style et y répandent ce charme dont la nature a doué les êtres qui nous environnent et qui font la source de notre bonheur ; l’âme sensible en est émue. Mais des images mathématiques, des figures qui sont bien dans la nature, sans y faire partie de cette nature vivante qui seule tient à nous par le lien du plaisir, ces images ne portent avec elles que la sécheresse. Les rapports peuvent être également justes, mais ils sont plus difficiles à saisir, et ne disent rien au cœur. C’est une des grandes différences de l’esprit et du génie. Celui-ci, fondé sur la sensibilité, sait choisir des images capables de mettre l’âme dans ce trouble heureux que donne la vue de la belle nature. Voilà pourquoi tant de nouvelles combinaisons de la matière, que nos découvertes modernes ont mises sous nos yeux, ont si peu enrichi notre poésie. C’est que toutes ces idées, quoique sensibles, n’ont aucun agrément pour nos sens, du moins il y en a très-peu qui aient cet avantage : c’est par conséquent un effet des progrès de la philosophie de mettre plus d’esprit dans le style et de le rendre plus froid. Il est encore à éviter de pousser les idées même les plus gracieuses de la nature jusqu’à un détail anatomique où elles perdent leur agrément : c’est ainsi seulement que l’esprit peut déplaire. Je crois que la langue d’un peuple, une fois formée et fixée par de grands écrivains, ne change plus. Ainsi, je pense que la décadence des lettres en Italie et en Grèce ne vint qu’après un temps beaucoup plus long qu’on ne le dit, et qu’alors la poésie tomba dans la même décadence que toutes les autres études, ce qui vint de la décadence même des mœurs de l’empire. À l’égard de l’éloquence, j’en ai dit ailleurs la raison.
Les anciens, parce qu’ils sont anciens, sont à l’abri de la pédanterie. On sait combien la vanité de montrer son érudition a été dans tous les temps nuisible au goût.
Vouloir conserver l’admiration des grands modèles en établissant un goût qui exclut les genres nouveaux, c’est faire comme les Turcs, qui ne savent conserver la vertu de leurs femmes qu’en les tenant en prison. — Faut-il toujours admirer sans rien produire ? — Un pareil pédantisme a perdu la littérature grecque sous l’empire des Romains.
Il y a des esprits que la nature a doués d’une mémoire capable de rassembler une foule de connaissances, et d’une raison exacte capable de les comparer, de leur donner cet arrangement qui les met dans tout leur jour ; mais à qui en même temps elle a refusé cette ardeur de génie qui invente et qui s’ouvre de nouvelles carrières. Faits pour réunir les découvertes des autres sous un point de vue propre à les éclaircir et à les perfectionner, si ce