Page:Variétés Tome V.djvu/345

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bagues et le demy-ceint12 pour mettre du pain sous ta dent. Il en eust dit davantage sans le bruit d’une autre dispute qui fit tourner tout le monde, pour voir ce que c’estoit.

Un joueur de luth du party des mescontens avoit desjà dit quantité d’injures à un charcutier qui n’avoit pas la mine d’avoir souffert aucune disette pendant le siège ; il avoit les joues rebondies comme les fesses d’un pauvre homme, et la troigne si luisante de gresse que l’on se fust miré dans son visage. Le joueur de luth, au contraire, estoit sec comme son instrument ; couvert d’un petit manteau noir de serge de Rome13 sur un habit de couleur extremement minée, il avoit un nez violet qui avoit la mine d’avoir esté rouge autrefois et s’estre baigné dans une infinité de verres de vin. Le charcutier l’avoit un peu poussé, ce qui l’ocasionna de luy dire


12. V., sur cette parure des petites bourgeoises et surtout des chambrières, notre t. 1, p. 317, et t. 3, p. 106. Pour ce dernier passage, nous avons cité ce qu’on lit dans le dictionnaire de Cotgrave au sujet de cette sorte de ceinture, dont le devant étoit d’argent ou d’or, et l’autre partie de soie. Cette description est fort bien justifiée par ces vers d’une chanson de Jacques Gohorry, qui prouvent en outre que vers le milieu du XVIe siècle le demi-ceint étoit à la mode déjà :

Il vous donnera ceinture,
Demi-ceint ferré d’argent,
Rouge cotte et la doublure
Plus que l’herbe verdoyant.

13. La serge de Rome étoit une étoffe légère qui se fabriquoit à Amiens. On en faisoit les habits longs et les soutanes d’été.