Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/136

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La Hollande est, pendant l’été, un pays agréable et riant ; mais elle m’aurait plu encore davantage si je l’eusse visitée avant l’Angleterre ; car les mêmes choses que l’on admire en Angleterre, sa population, sa richesse, sa propreté, la sagesse des lois, les merveilles de l’industrie et de son activité, tout se retrouve ici, mais sur une moindre échelle ; et, en effet, après beaucoup d’autres voyages où mon expérience s’étendit, les deux seuls pays de l’Europe qui m’aient toujours laissé le désir de les revoir, ce sont l’Angleterre et l’Italie : la première, parce que l’art y a, pour ainsi dire, subjugué, transfiguré la nature ; la seconde, parce que la nature s’y est toujours énergiquement relevée pour prendre sa revanche de mille façons sur dés gouvernemens souvent mauvais, toujours inactifs.

Pendant mon séjour à La Haye, où je restai bien plus long-temps que je me l’étais promis, je donnai enfin dans les pièges de l’amour, qui jusque là n’avait jamais pu me joindre et m’arrêter. Une femme charmante, mariée depuis un an, pleine de grâces naturelles, d’une beauté modeste et d’une douce ingénuité, me blessa très-vivement au cœur. Le pays était petit, les distractions rares ; je la voyais beaucoup plus souvent que d’abord je ne l’aurais voulu ; bientôt j’en vins à me plaindre de ne pas la voir assez souvent. Je me trouvai pris d’une terrible manière, sans m’en apercevoir ; je ne pensais déjà à rien moins qu’à ne plus sortir de La Haye ni mort ni vif, persuadé qu’il me serait complètement impossible de vivre sans cette femme.