Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/180

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du bras droit, ce fut le bras gauche que je me démis ; et ensuite je ne reçus qu’après la rencontre la lettre de ma maîtresse. Supposons les choses autrement, je ne sais si tout se fût bien passé. Quoi qu’il en soit, le mari était à peine sur la route de Londres, que sa femme était également partie par une autre route, et venait directement à Londres chez sa belle-sœur, qui demeurait assez près de la maison de son mari. Là, elle avait appris que ce dernier était revenu chez lui en fiacre, il y avait moins d’une heure, et que s’élançant de la voiture, il avait couru s’enfermer dans sa chambre, sans permettre à qui que ce fût de la maison de le voir ou de lui parler. Elle en avait tiré cette conclusion, qu’il m’avait rencontré et tué. Tout ce récit, je le lui arrachai par lambeaux, sans cesse interrompus, comme on peut le croire, par l’excès des émotions diverses qui nous agitaient l’un et l’autre. Mais, pour le moment, la fin de tout cet éclaircissement se résolvait en une félicité inattendue, et qu’on ne saurait imaginer. L’inévitable divorce qui la menaçait m’imposait le devoir (et c’était le plus ardent de mes vœux) de remplacer auprès d’elle l’époux qu’elle allait perdre.

Ivre d’une telle pensée, j’en avais presque oublié ma petite blessure. Mais quelques heures après, ayant fait visiter mon bras sous les yeux de ma maîtresse, je trouvai la peau effleurée tout du long et beaucoup de sang caillé dans les plis de la chemise : c’était là tout. Mon bras une fois pansé, j’eus la fantaisie, c’était une curiosité de jeune