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CHAPITRE XI.

Horrible désenchantement.



Voici cependant en réalité comment les choses s’étaient passées la veille. Mon fidèle Élie ayant vu arriver le messager sur un cheval couvert de sueur et tout hors d’haleine, et cet homme lui recommandant avec la plus vive instance de me faire parvenir immédiatement cette lettre, était aussitôt sorti pour courir après moi. Il me chercha d’abord chez le prince de Masserano, où il croyait que j’étais allé, puis chez Caraccioli, à plusieurs milles de là, et il avait ainsi perdu des heures. Enfin, comme il s’en revenait à la maison, dans Suffolk-Street, très-près d’Hay-Market, où est l’Opéra-Italien, il lui vint à l’esprit de voir si j’y étais. Il ne l’espérait guère, pensant à ce bras disloqué que je portais en écharpe. Il entre au théâtre et s’enquiert de moi auprès de ces gardiens des loges, de qui j’étais parfaitement connu. On lui répond que je suis sorti, il y a dix minutes, avec une personne qui est venue me chercher jusque dans la loge où j’étais. Élie n’ignorait pas (quoiqu’il ne le sût pas de moi) le secret de mon violent amour. Il n’eut pas plus tôt appris le nom de la personne qui était venue me prendre et rapproché cette circonstance de l’endroit d’où arrivait la lettre, qu’il comprit aussitôt toute l’affaire. Alors le pauvre Élie, qui me connaissait pour le tireur le plus maladroit, et