Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/184

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tresse. Mais j’avais beau me répéter que le prochain divorce allait tout terminer ; en vain le père de la belle (que je connaissais déjà depuis des années) était venu voir sa fille dans la journée du mercredi, et s’était félicité de ce que, dans sa disgrâce, elle avait le bonheur de trouver encore pour mari un homme si honorable (il voulut bien s’exprimer ainsi). Je ne laissai pas néanmoins de remarquer sur le beau front de ma maîtresse un sombre nuage qui semblait m’annoncer quelque sinistre dénouement. Quant à elle, toujours noyée dans ses larmes, elle ne cessait de me protester qu’elle m’aimait plus que tout au monde. Le scandale de l’événement et le déshonneur qui devait en résulter pour elle dans sa patrie seraient amplement compensés, si elle pouvait vivre éternellement avec moi ; mais elle était trop sûre que jamais je ne voudrais l’épouser. Cette assertion étrange et l’énergique persévérance qu’elle y mettait me causaient un véritable désespoir, et bien convaincu qu’elle ne redoutait de ma part ni mensonge, ni artifice, je ne comprenais absolument rien à la défiance qu’elle me témoignait. Ces funestes perplexités troublaient et anéantissaient toute la joie que j’avais à la voir librement du matin au soir ; je commençais d’ailleurs à subir les angoisses d’un procès toujours pénibles pour peu que l’on ait un peu d’honneur et quelque pudeur. Du mercredi au vendredi soir, trois, jours s’écoulèrent de la sorte. Mais le soir du vendredi, comme j’insistais fortement auprès de ma maîtresse pour tirer quelque lumière de l’affreuse énigme de ses