Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/185

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discours, de ses tristesses, de ses défiances, enfin avec un long effort, et après un douloureux préambule entrecoupé de soupirs et de sanglots amers, elle me dit qu’elle n’était pas digne de moi, qu’elle le savait trop bien, que jamais je ne pourrais, ni ne devais, ni ne voudrais l’épouser… parce que déjà… avant de m’aimer… elle avait aimé… — Eh ! qui donc ? m’écriai-je, en l’interrompant avec impétuosité. — Un jockei (c’est-à-dire un palefrenier) qui était… chez… mon mari. — Qui était ? quand donc ? Ô Dieu, je me sens mourir ! Mais pourquoi me dire une telle chose ? Femme cruelle ! il valait mieux me tuer… Ici elle m’interrompit à son tour, et peu à peu elle acheva l’entière confession, le honteux aveu de son grossier amour. Pendant qu’elle m’en raconta les douloureux et incroyables détails, je demeurais glacé, immobile, insensible comme la pierre. Le très-digne rival qui m’avait précédé était encore dans la maison du mari au moment où elle parlait. C’était lui qui d’abord avait épié les démarches de sa maîtresse dont il était l’amant, lui qui avait découvert ma première visite à la maison de plaisance et la circonstance du cheval laissé toute une nuit dans une auberge du voisinage, lui qui, avec d’autres valets de la maison, m’avait vu et reconnu, à ma seconde visite, le dimanche au soir. Finalement, ayant appris mon duel avec le mari, et témoin de la douleur profonde qu’éprouvait celui-ci à se séparer d’une femme qu’il aimait si éperduement, le drôle avait pris le parti, dans la journée du jeudi, de se présenter devant