Aller au contenu

Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son maître, et pour le désabuser, en même temps que pour se venger lui-même et punir son infidèle maîtresse et le rival qu’elle lui avait préféré, ce héros d’écurie confessa effrontément et détailla toute l’histoire de ses amours de trois ans avec sa maîtresse ; puis il exhorta vivement son maître à ne pas déplorer plus long-temps la perte d’une telle femme : c’était plutôt une faveur du ciel. Je ne sus que plus tard ces horribles et cruelles particularités ; elle se contenta de me dire le fait, et encore elle l’adoucit du mieux qu’elle put.

Ma douleur, ma rage, les diverses résolutions, toutes fausses, toutes funestes, toutes les plus vaines du monde que je pris et quittai ce soir-là, mes gémissemens, mes blasphèmes, mes rugissemens, et à travers toute cette colère et ce désespoir, mon amour effréné, indomptable, pour un objet si indigne, c’est ce que la parole ne saurait peindre. Il y a vingt ans de cela, et aujourd’hui encore, quand j’y songe, mon sang recommence à bouillir dans mes veines.

Ce soir-là, je la quittai en lui disant qu’elle me connaissait trop bien quand elle avait dit, et si souvent répété, que jamais je ne l’épouserais, et que si, après l’avoir épousée, j’étais venu à apprendre une pareille infamie, je l’aurais certainement tuée de ma main, et moi sans doute après elle, si toutefois alors je l’eusse autant aimée que je l’aimais encore maintenant pour mon malheur. J’ajoutai que je la méprisais cependant un peu moins, parce qu’elle avait eu le courage et la loyauté de me faire spon-