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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/188

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j’y retournai encore le lendemain et les jours suivans. elle prit enfin le parti de quitter l’Angleterre, où elle était devenue la fable universelle, et d’aller en France s’enfermer pendant quelque temps dans un monastère ; je l’accompagnai, et nous restâmes longtemps dans les différens comtés de l’Angleterre, pour prolonger encore ce triste bonheur d’être ensemble.

J’avais beau frémir et m’indigner de me voir près d’elle, à aucun prix je ne pouvais m’en séparer ; mais prenant une heure où le ressentiment et la honte eurent plus de force que l’amour, je la laissai à Rochester, d’où elle se rendit en France par Douvres avec sa belle-sœur, et je m’en retournai à Londres.

J’appris en y arrivant que le mari avait suivi le procès de son divorce en mon nom, et que pour cela il m’avait accordé la préférence sur notre troisième triumvir, son propre palefrenier ; qu’il avait même gardé celui-ci à son service : tant il y a vraiment de générosité et de patience évangélique dans la jalousie d’un Anglais. J’eus beaucoup à me louer pour ma part des procédés de ce mari outragé. Il voulut bien ne pas me tuer quand il pouvait le faire selon toute vraisemblance ; il ne voulut pas non plus me rançonner comme le permettent les lois de ce pays, où chaque offense a son tarif, où celles de ce genre se paient fort cher. Si au lieu de l’épée il m’eût fallu tirer la bourse, j’étais ruiné, ou tout au moins mes affaires en allaient fort mal. Car l’indemnité se proportionnant à la perte, il en avait essuyé une si grande, si l’on songe à l’amour