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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/221

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J’ajouterai une observation que voici : lorsque je commençai à noircir ces feuilles de papier, si je fis parler Cléopâtre de préférence à Bérénice, à Zé-


CLÉOPÂTRE.

Tes paroles sont vraies, mais elles seront inutiles, si le bras invincible d’Antoine ne se tient pas à mon côté pour prendre soin de ma gloire[1] Que faire dans mon désespoir ? Où aller ? Il me faudra donc, humble et suppliante, tendre aux infâmes liens et à la chaîne servile d’un vainqueur superbe, ce col et ces bras naguère liés d’un si beau nœud… nœud fatal !…[2] amour funeste ! qui d’abord m’a fait esclave pour me faire ensuite celle d’un tyran.

LACHÉSIS.

Reine, tu n’as peut-être pas sondé les derniers gués du sort ennemi ; qui sait, si la fortune n’aurait pas tourné le dos aux troupes ennemies, si Antoine, rentré en lui-même, n’a pas avec des guerriers fidèles et hardis, arraché la victoire de leurs mains iniques.

CLÉOPÂTRE.

Ah ! non, fidèle seulement à l’amour, il n’a plus aucun souci de l’honneur. Seule j’ai été insensée, seule malheureuse, puisse-je du moins apaiser la colère du ciel ; mais s’il me réserve à un affront public, je saurai peut-être, d’une main généreuse et forte, faire mentir ses injustes décrets. Ne crois pas qu’il n’y ait dans mon sein que le cœur d’une amante, il y a encore celui d’une noble reine, et ce cœur m’excite à une fin généreuse… L’infamie appartient au lâche, la mort au brave. Entre ces deux extrémités le choix n’est pas douteux ;

  1. Je veux être damné, s’il m’échappe jamais un seul point. (A.)
  2. Cet auteur était né avec une furieuse prédilection pour les virgules. (A.)