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Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/261

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Et cette impuissance à m’expliquer, ou si l’on veut à me traduire moi-même, je ne dis pas en vers, mais simplement en prose italienne, elle allait si loin, que quand je voulais relire un acte, une scène, je dis de celles qui avaient plu à mes auditeurs, aucun d’eux n’y reconnaissait mon œuvre, et on me demandait sérieusement pourquoi j’avais changé tout cela. C’était bien la même figure, mais autrement drapée, et si différente dans ses nouveaux habits, qu’on ne pouvait ni la reconnaître, ni la tolérer. Je me mettais en fureur, je pleurais, le tout en vain. Il n’y avait qu’un remède : prendre patience et recommencer ; et en attendant, il me fallait avaler les lectures les plus insipides, les plus anti-tragiques, pour me familiariser avec le génie toscan. Je dirais (si je ne craignais le ridicule de l’expression), je dirais en deux mots qu’il me fallait tout le jour dépenser, pour repenser ensuite.

Toutefois, j’avais là en portefeuille le germe de deux tragédies, et cette pensée m’aidait à prêter une oreille un peu plus patiente à tous les avis pédantesques, qui de toutes parts pleuvaient sur moi. Ces deux tragédies m’avaient aussi donné la force d’affronter la représentation de cette absurde Cléopâtre ; chaque vers que prononçait l’acteur retentissait dans mon cœur, comme la plus amère critique de tout l’ouvrage, qui, dès ce moment, cessa d’exister à mes yeux ; je ne le considérai plus que comme un aiguillon pour ceux qui devraient suivre. Aussi, d’une part, si je ne me laissai pas décou-