Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/288

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parable abbé Thomas de Caluso, qui, m’ayant trouvé contre son attente enfoncé pour tout de bon dans la littérature, et obstiné au scabreux dessein de me faire poète tragique, me prodigua les encouragemens, les conseils et le secours de toutes ses lumières, avec une bienveillance et un dévouement ineffables. Ainsi fit encore le très-savant comte de Saint-Raphaël, avec qui je fis connaissance, cette même année, et plusieurs autres personnages d’un esprit très-orné, qui tous, mes aînés par l’âge, le savoir et l’expérience dans l’art, eurent pitié de moi et me donnèrent des enrouragemens que la bouillante ardeur de mon caractère rendait au surplus inutiles. Mais je garde, je garderai toute ma vie une profonde reconnaissance à tous les hommes distingués dont je viens de parler, pour avoir supporté avec tant de patience mon insupportable pétulance de ce temps-là, qui, à vrai dire, cependant se calmait de jour en jour, à mesure que j’acquérais des lumières.

Vers la fin de cette année 1776, j’éprouvai une consolation bien douce et après laquelle je soupirais depuis long-temps. Un matin que j’étais allé chez Tana, à qui je portais mes poésies, toujours avec émotion et tremblement, au moment même où je venais de les achever, je lui présentai enfin un sonnet où il trouva fort peu à reprendre, et que, tout au contraire, il loua beaucoup, et comme les premiers vers dignes de ce nom que j’eusse encore faits. Après tant et de si cruelles tribulations, tant d’humiliations éprouvées depuis plus d’un an, cha-