Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/347

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chassât de Rome, je résolus moi-même d’en sortir. J’allai donc chez le ministre de Sardaigne, et le priai de faire savoir au secrétaire d’état qu’informé de tout le scandale qui avait lieu, j’avais trop à cœur la réputation, l’honneur et le repos d’une dame si vénérable, pour ne pas prendre immédiatement le parti de m’éloigner quelque temps, et que, pour mettre un terme aux méchans propos, je partirais dans les premiers jours du mois prochain. Ce douloureux et volontaire exil plut au ministre et reçut l’approbation du secrétaire d’état, du pape, et de tous ceux qui connurent la vérité. Je me préparai donc à ce cruel départ. Ce qui surtout m’y décida, ce fut la triste vie que je prévoyais devoir être désormais la mienne, si je restais à Rome sans pouvoir continuer à la voir chez elle, et en l’exposant à mille chagrins, à des dégoûts infinis, si je m’arrangeais pour la voir assidûment ailleurs avec une publicité affectée, ou sous le voile inutile d’un mystère sans dignité. Mais demeurer à Rome sans qu’il fût possible de nous voir, c’était pour moi un tel supplice, que, d’accord avec elle, et de deux maux préférant le moindre, je choisis l’absence, en attendant des temps meilleurs.

Le 4 mai 1783, et ce jour a été jusqu’ici et sera toujours pour moi la date d’un bien amer souvenir, je m’éloignai donc de celle qui était plus que la moitié de moi-même. Des quatre ou cinq séparations qu’il me fallut subir ainsi, celle-ci fut pour moi la plus terrible ; car toute espérance de la revoir était pour moi désormais incertaine et éloignée.