Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/348

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Cet événement vint de nouveau jeter dans mon esprit un trouble qui se prolongea pendant deux ans, et qui empêcha, retarda et même sous tous les rapports, dérangea notablement mes études. Durant les deux années de mon séjour à Rome, j’avais mené une vie vraiment heureuse. La villa Strozzi, située aux Thermes de Dioclétien, m’avait offert une retraite délicieuse. J’y consacrais à l’étude mes longues matinées, sans sortir de chez moi, si ce n’est une heure ou deux pour courir à cheval dans ces solitudes immenses et dépeuplées des environs de Rome, qui invitent à réfléchir, à pleurer, à faire des vers. Le soir, je descendais dans la ville habitée, et quand je m’étais reposé des fatigues de l’étude avec l’aimable vue de celle pour qui seule je vivais, pour qui seule j’étudiais, je retournais content à mon désert, où je ne rentrais jamais plus tard que onze heures. Vainement on eût cherché dans l’enceinte d’une grande ville un séjour plus riant, plus libre, plus champêtre, mieux assorti à mon humeur, à mon caractère, à mes occupations. J’en conserverai toute ma vie le souvenir et le regret.

Ayant donc ainsi laissé dans Rome mon unique amie, mes livres, cette chère villa, mon repos et moi-même avec tout le reste, je m’en éloignai comme un homme stupide et insensé. Je me dirigeai du côté de Sienne, pour pouvoir au moins librement y pleurer quelques jours dans le sein de mon ami. Je ne savais pas bien encore moi-même où j’irais, où je m’établirais, ce que je ferais. Je trouvai une grande consolation à m’entretenir avec cet homme