Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/350

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ques-unes étaient écrites avec sel et courtoisie, presque toutes grossièrement et sans esprit ; plusieurs étaient signées, d’autres non, et toutes s’accordaient à ne blâmer presque exclusivement que mon style, très-dur, disait-on, très-obscur, très-extravagant , mais sans vouloir ou sans pouvoir me préciser en aucune manière ni où, ni comment, ni pourquoi. Arrivé en Toscane, mon ami, pour me distraire de mon unique pensée, me lut dans les feuilles de Florence et de Pise, qu’on appelait journaux, l’extrait des lettres qui m’avaient été adressées à Rome. Ce furent les premiers journaux littéraires qui, dans une langue quelconque, me tombèrent sous les yeux et dans les mains ; et alors seulement je pénétrai dans les replis de cet art respectable qui blâme ou loue les différens livres avec un égal discernement, selon que les auteurs de ces livres ont payé, choyé, ignoré ou dédaigné le journaliste. Je m’inquiétai peu, à dire vrai, de ces censures vénales, ayant alors l’esprit uniquement préoccupé d’une tout autre pensée.

Après un séjour à Sienne d’environ trois semaines, pendant lesquelles je ne vis et ne fréquentai personne autre que mon ami, je craignis de lui devenir trop importun, parce que je l’étais à moi-même. Qu’on ajoute à cela l’impossibilité de m’occuper de quoi que ce fût, et le besoin de changer de lieu, qui me revenait, comme toujours, avec l’ennui et l’oisiveté : c’était plus qu’il n’en fallait pour m’inspirer la résolution d’échapper encore à l’inaction par les voyages. La fête de l’Ascension approchait,