Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/351

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et je m’en allai à Venise, où je l’avais déjà vue, il y avait bien des années. Je traversai Florence en courant ; car je souffrais trop de l’aspect de ces lieux qui m’avaient vu si heureux, et qui maintenant me revoyaient si triste et si accablé. Toutes les distractions du voyage, ses fatigues, et le mouvement du cheval en particulier, me furent un grand bienfait, pour ma santé, du moins, qui depuis trois mois s’était profondément altérée parmi tant de labeurs d’esprit, d’intelligence et de cœur. En quittant Bologne, je changeai de route pour visiter à Ravenne le tombeau du poète, et j’y passai tout un jour à prier, à rêver, à pleurer. Pendant ce voyage de Sienne à Venise, se rouvrit dans mon cœur une nouvelle et abondante veine de poésies amoureuses, et il n’y avait pas de jour où je ne me visse forcé d’écrire un ou plusieurs sonnets qui venaient impétueusement et d’eux-mêmes s’offrir à mon imagination agitée. À Venise, lorsque j’appris qu’entre l’Angleterre et les Américains avait été conclue une paix définitive qui assurait leur complète indépendance, j’écrivis la cinquième ode de l’Amérique libre, et je complétai ainsi ce petit poème lyrique. De Venise, je me rendis à Padoue, mais je n’oubliai pas cette fois, comme j’avais fait les deux précédentes, d’aller visiter à Arqua la maison et le tombeau de notre souverain maître en amour. J’y consacrai également tout un jour aux larmes et à la poésie, uniquement pour épancher le trop plein de mon cœur. À Padoue, je fis personnellement connaissance avec le célèbre Cesarotti, dont les manières vives et at-