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pouvait prendre ses troupes à solde. Sous ce rapport dès la fin du XIIIe siècle la monarchie anglaise avait acquis une grande supériorité sur la monarchie française. La féodalité anglo-normande formait un faisceau plus un que la féodalité française ; elle l’avait prouvé en se faisant octroyer la grande charte, et était par suite de cet accord intimement liée au suzerain. Cette forme de gouvernement, relativement libérale, avait amené l’aristocratie anglaise à introduire dans ses armées des troupes de gens de pied pris dans les villes, qui étaient déjà disciplinés, habiles à tirer de l’arc, et qui déterminèrent le gain de presque toutes les funestes batailles du XIVe siècle, Crécy, Poitiers, etc. Le même sentiment de défiance qui faisait que le seigneur féodal français isolait son château de la ville placée sous sa protection, ne lui permettait pas de livrer des armes aux bourgeois, de les familiariser avec les exercices militaires ; il comptait sur ses hommes, sur la bonté de son cheval et de son armure, sur son courage surtout, et méprisait le fantassin qu’il n’employait en campagne que pour faire nombre, le comptant d’ailleurs pour rien au moment de l’action. Cet esprit qui fut si fatal à la France à l’époque des guerres avec les anglais, et qui fut cause de la perte des armées françaises dans maintes batailles rangées pendant le XIVe siècle, malgré la supériorité incontestable de la gendarmerie féodale de ce pays, était essentiellement favorable au développement de l’architecture militaire ; et, en effet, nulle part en Occident, on ne rencontre de plus nombreuses, de plus complètes et plus belles fortifications féodales, pendant les XIIIe et XIVe siècles, qu’en France (voy. Château, Donjon, Tour, Porte)[1]. C’est dans les châteaux féodaux surtout qu’il faut étudier les dispositions militaires ; c’est là qu’elles se développent du XIIe au XIVe siècle avec un luxe de précautions, une puissance de moyens extraordinaires.

Nous avons distingué déjà les châteaux, servant de refuges, de citadelles, aux garnisons des villes, se reliant aux enceintes urbaines, des châteaux

  1. Le nombre des châteaux qui couvraient le sol de la France, surtout sur les frontières des provinces, est incalculable. Il n’était guère de village, de bourgade ou de petite ville qui n’en possédât au moins un, sans compter les châteaux isolés, les postes et les tours qui, de distance en distance, se rencontraient sur les cours des rivières, dans les vallées servant de passages, et dans les marches. Dès les premiers temps de l’organisation féodale, les seigneurs, les villes, les évêques, les abbés avaient dû dans maintes circonstances recourir à l’autorité suzeraine des rois de France pour interdire la construction de nouveaux châteaux préjudiciables à leurs intérêts et « à ceux de la patrie. » (Les Olim.) D’un autre côté, malgré la défense de ses vassaux, le roi de France, par acte du parlement, autorisait la construction de châteaux forts, afin d’amoindrir la puissance presque rivale de ses grands vassaux. « Cum abbas et conventus Dalonensis associassent dominum regem ad quemdam locum qui dicitur Tauriacus, pro quadam bastida ibidem construenda, et dominus Garnerius de Castro-Novo, miles, et vicecomes Turenne se opponerent, et dicerunt dictam bastidam absque eorum prejudicio non posse fieri : Auditis eorum contradicionibus et racionibus, pronunciatum fuit quod dicta bastida ibidem fieret et remaneret. » (Les Olim, édit. du Min. de l’Instr. publ. Philippe III, 1279, t. II, p. 147.)