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MÉMOIRES.

que sa femme m’avait donné un beau carrosse, et quelque autre chose, dans le temps qu’il n’avait point de femme. Je m’étais d’abord donné le plaisir de faire un recueil de ces calomnies ; mais elles se multiplièrent au point que j’y renonçai.

C’était là tout le fruit que j’avais tiré de mes travaux. Je m’en consolais aisément, tantôt dans la retraite de Cirey, et tantôt dans la bonne compagnie de Paris.

Tandis que les excréments de la littérature me faisaient ainsi la guerre, la France la faisait à la reine de Hongrie, et il faut avouer que cette guerre n’était pas plus juste, car, après avoir solennellement stipulé, garanti, juré la pragmatique sanction de l’empereur Charles VI, et la sanction et la succession de Marie-Thérèse à l’héritage de son père : après avoir eu la Lorraine[1] pour prix de ces promesses, il ne paraissait pas trop conforme au droit des gens de manquer à un tel engagement. On entraîna le cardinal de Fleury hors de ces mesures. Il ne pouvait pas dire, comme le roi de Prusse, que c’était la vivacité de son tempérament qui lui faisait prendre les armes. Cet heureux prêtre[2] régnait à l’âge de quatre-vingt-six ans, et tenait les rênes de l’État d’une main très-faible. On s’était uni avec le roi de Prusse dans le temps qu’il prenait la Silésie ; on avait envoyé en Allemagne deux armées pendant que Marie-Thérèse n’en avait point. L’une de ces armées avait pénétré jusqu’à cinq lieues de Vienne sans trouver d’ennemis : on avait donné la Bohême à l’électeur de Bavière, qui fut élu empereur, après avoir été nommé lieutenant général des armées du roi de France. Mais on fit bientôt toutes les fautes qu’il fallait pour tout perdre[3].

Le roi de Prusse ayant, pendant ce temps-là, mûri son courage et gagné des batailles, faisait sa paix avec les Autrichiens. Marie lui abandonna, à son très grand regret, le comté de Glatz avec la Silésie. S’étant détaché de la France sans ménagement, à ces conditions, au mois de juin 1742, il me manda qu’il s’était mis dans les remèdes et qu’il conseillait aux autres malades de se rétablir.

Ce prince se voyait alors au comble de sa puissance, ayant à ses ordres cent trente mille hommes de troupes victorieuses, dont il avait formé la cavalerie, tirant de la Silésie le double de ce qu’elle avait produit à la maison d’Autriche, affermi dans sa nouvelle conquête, et d’autant plus heureux que toutes

  1. Voyez tome XV, le chapitre iv du Précis du Siècle de Louis XV.
  2. Voyez tome XV, le chapitre iii du Précis du Siècle de Louis XV.
  3. Voyez tome XV, le Précis du Siècle de Louis XV, chapitre vi et suivants.